La philosophie entre les continents: Ernest-Marie Mbonda sur la pensée africaine et l’Église catholique
Entretien avec Ernest-Marie Mbonda
Language of the Interview: French
Conducted by Abbed Kanoor
Dans cet entretien, le professeur Ernest-Marie Mbonda évoque la relation ancienne et évolutive entre l’Église catholique et la philosophie africaine, en particulier au Cameroun. Il explique que la philosophie africaine moderne a largement émergé des contextes ecclésiastiques, en commençant par des figures comme le missionnaire Placide Tempels et en continuant à travers le clergé africain comme Fabien Eboussi Boulaga et Alexis Kagame. Les séminaires et les institutions catholiques ont servi de premières plateformes pour la réflexion philosophique, en particulier lorsque le clergé africain s’est attaqué à des questions telles que la sorcellerie et les phénomènes spirituels qui manquaient d’explications claires dans le cadre de la doctrine catholique.
Mbonda, qui se spécialise dans l’éthique et la philosophie politique, raconte son propre parcours universitaire, qui a commencé par un intérêt pour des penseurs occidentaux tels que John Rawls. Cependant, il s’est personnellement tourné vers les réalités politiques et sociales africaines, telles que la démocratie, la coexistence multiethnique et la légitimité de l’État, d’un point de vue africain. Aujourd’hui, il enseigne et fait des recherches sur la philosophie africaine, cherchant à s’attaquer aux problèmes locaux à l’aide d’outils philosophiques.
En ce qui concerne la langue, Mbonda parle le bafang (également connu sous le nom de Fe’fe’), sa langue maternelle, qu’il a apprise de sa mère et étudiée formellement à l’école. Bien qu’il soutienne l’idée de philosopher dans les langues africaines, il souligne les défis pratiques : avec plus de 200 langues rien qu’au Cameroun, atteindre un public plus large nécessite souvent d’utiliser des langues coloniales comme le français ou l’anglais. Néanmoins, il plaide pour l’intégration des concepts et terminologies indigènes, qui peuvent apporter un éclairage unique, comme l’exemple de sa langue où le “mal” est exprimé uniquement par “pas bon”, suggérant une vision du monde où la bonté est la valeur par défaut.
Enfin, Mbonda évoque son expérience de l’enseignement de la philosophie au Canada, en particulier au Québec. Il souligne les défis pédagogiques que représente l’adaptation à un nouvel environnement académique sans y avoir étudié. Malgré ces obstacles, il a été le fer de lance des efforts visant à introduire la philosophie africaine dans les programmes universitaires au Québec, en plaidant pour son inclusion dans le cadre des mouvements plus larges de décolonisation et de diversité. Ses efforts ont abouti à l’intégration réussie de cours de philosophie africaine dans plusieurs grandes universités, dont l’Université Laval, l’Université de Montréal et l’UQAM. Il conclut en notant l’accueil enthousiaste de ces cours, en particulier de la part d’étudiants non africains désireux d’élargir leurs horizons philosophiques.
In this interview, conducted by Abbed Kanoor, Prof. Ernest-Marie Mbonda discusses the longstanding and evolving relationship between the Catholic Church and African philosophy, particularly in Cameroon. He explains that modern African philosophy largely emerged from ecclesiastical contexts, beginning with figures like missionary Placide Tempels and continuing through African clergy such as Fabien Eboussi Boulaga and Alexis Kagame. Seminaries and Catholic institutions served as early platforms for philosophical reflection, especially as African clergy grappled with issues like sorcery and spiritual phenomena that lacked clear explanations within Catholic doctrine.
Mbonda, who specializes in ethics and political philosophy, recounts his own academic journey, which began with a focus on Western thinkers like John Rawls. However, he experienced a personal shift toward addressing African political and social realities—such as democracy, multiethnic coexistence, and state legitimacy—from an African perspective. He now teaches and researches African philosophy, seeking to engage with local problems using philosophical tools.
Regarding language, Mbonda speaks Bafang (also known as Fe’fe’), his mother tongue, which he learned from his mother and studied formally in school. While he supports the idea of philosophizing in African languages, he highlights practical challenges: with over 200 languages in Cameroon alone, reaching a broader audience often requires using colonial languages like French or English. Nevertheless, he advocates for incorporating indigenous concepts and terminologies, which can provide unique insights—such as the example from his language where “evil” is expressed only as “not good,” suggesting a worldview where goodness is the default.
Finally, Mbonda reflects on his experience teaching philosophy in Canada, particularly in Quebec. He notes the pedagogical challenges of adapting to a new academic environment without having studied there himself. Despite these hurdles, he spearheaded efforts to introduce African philosophy into university curricula in Quebec, advocating for its inclusion as part of the broader decolonization and diversity movements. His efforts led to the successful integration of African philosophy courses at several major universities, including Université Laval, Université de Montréal, and UQAM. He concludes by noting the enthusiastic reception of these courses, especially from non-African students eager to broaden their philosophical horizons.